Durant les premières semaines du conflit étudiant, André Pratte aura publié une dizaine d’articles sur la question qui, les uns après les autres, auront exacerbé son incroyable mauvaise foi. Il ne s’agit pas ici de tenir un débat de fond sur l’enjeu de la hausse des droits de scolarité – un lecteur moindrement perspicace aura tôt fait de deviner mon camp –, mais de mettre en lumière la stratégie (non-)argumentative de l’éditorialiste en chef du quotidien La Presse. Devancé par mon ami Pierre-Luc Brisson, je ne peux que vous conseiller la lecture de son article, et croire que nous ne sommes jamais trop nombreux pour pointer la démagogie où elle se présente.
Renommer
La première tactique de Pratte aura consisté à renommer le mouvement étudiant. Son article du 18 février s’intitulait : « Une ”grève” inutile »[1]. Le journaliste prenait soin d’encadrer « grève » de guillemets, « puisque les seuls qui sont privés de quoi que ce soit, ce sont les étudiants eux-mêmes », écrivait-il. Dès son article suivant – et jusqu’à la fin – il aura utilisé le terme « boycott », ce que n’ont pas manqué de faire moult politiciens, chroniqueurs et autres personnages médiatiques.
Si la grève étudiante est un boycott, eh bien, c’est le premier boycott de l’histoire à avoir fait l’objet de délibérations démocratiques en assemblées générales. C’est bien là un terme problématique qui n’aura pas manqué de faire grincer les dents des étudiants impliqués. D’une part, parce qu’habituellement, on boycotte un produit de consommation. Les grévistes – du moins, une bonne partie d’entre eux – s’opposent justement à la marchandisation de l’éducation. D’autre part, parce que le terme « grève » a une histoire au Québec et que l’Office québécois de la langue française spécifie qu’une grève peut être dirigée envers l’État gouvernement (et non seulement envers l’État employeur, comme le voudrait le vocabulaire syndico-légal qui a trouvé plus de légitimité que jamais auprès des détracteurs de la grève). Plusieurs se seront plu à préciser qu’on n’a d’ailleurs jamais parlé de « boycott de la nourriture », mais toujours de « grève de la faim ».
On aura compris que Monsieur Pratte use des guillemets, si ce n’est pour rapporter les propos d’autrui, lorsque celui-ci utilise une expression à contrecœur ou qu’il cherche à la banaliser. On retrouvera ainsi, dans ses différents éditoriaux, les termes « grève »[1], « grévistes »[6], « répression policière »[2], « actions d’éclat »[2], hausse « brutale »[3], « crise »[4], « démocratie » étudiante[6], « judiciarisation » du conflit[6] toujours entre guillemets. Par contre, on aura aussi lu, libre de cette contrainte, les termes boycott[1], école buissonnière[5], sèchent leur cours[2], pâte molle[5], et Sainte trinité PQ-syndicats-artistes[5].
Il est légitime de croire que ces jeux sémantiques traduisent moins un désir de justesse lexicale qu’une tentative d’André Pratte de diaboliser ce qui ne lui plaît pas. Jean Charest et Line Beauchamp ont d’ailleurs à leur tour utilisé ce procédé en prononçant constamment « CLASSé » plutôt que « CLASSE », mais jamais « FéUQ » ni « FéCQ » (même si le « E » renvoie à étudiante dans tous les cas). Il semble que ces transformations puissent être interprétées comme un refus catégorique de reconnaître l’autre partie, refus annonçant depuis longtemps l’échec de quelque négociation avec la coalition en question.
Le déni
La méthode journalistique d’André Pratte est assez singulière. Plutôt que d’élever le débat à l’aide d’arguments ou d’analyses approfondies, celui-ci présente comme des vérités et des évidences ce qui ressemble bien davantage à ses désirs. Des phrases simples, courtes, incisives, mais souvent discutables. Ainsi, a-t-on pu lire : « ce mouvement est sans fondement »[1], « le mouvement étudiant n’a pas d’impact »[3], « l’augmentation est nécessaire et raisonnable »[3], etc. Ces affirmations auront souvent été précédées d’interrogations donnant l’illusion que Pratte nous fournit une réponse : « Forcé? […] Qui force qui? »[5], « La crise? Quelle crise? »[3], « Négocier quoi? »[3], « Qu’y a-t-il à négocier? Et avec qui? »[5].
Si plusieurs chroniqueurs, sociologues, artistes, politiciens, penseurs, professeurs, économistes, philosophes se sont fait un plaisir de réfléchir aux fondements du mouvement étudiant, à son impact (réfutant ainsi les prétentions de Pratte au sujet de l’insignifiance du mouvement), certaines propositions de l’éditorialiste n’ont même pas eu besoin d’être démenties par quiconque. Le temps a fait les choses. En effet, Pratte a systématiquement échoué dans ses tentatives de prévoir l’avenir. Quelques semaines après qu’il eut affirmé que « les jeunes participant aux manifestations constituent une petite minorité, parfois même une minuscule minorité »[3], on aura vu près de 200 000 personnes s’agiter dans les rues de Montréal. Il y a trois mois, ce dernier s’est aussi prononcé sur la durée des contestations: « Le mouvement étudiant connaîtra encore deux ou trois semaines d’effervescence […] le mouvement va s’essouffler. Et la ”crise” prendra fin d’elle-même »[3]. Dans la même veine, quelques jours avant l’émeute à l’entrée du Salon du Plan Nord, Pratte poussait le déni à son sommet : « À entendre les leaders étudiants, leurs sympathisants, les médias et les partis d’opposition, le Québec traverse ces jours-ci une grave crise sociale. Il n’en est rien »[5].
Renversement
Alors que tout le monde sent venir des élections et que les témoignages de brutalité policière se multiplient, Pratte, par un curieux renversement, suggère quant à lui que la CLASSE essaie de se faire du capital sur le dos des policiers : « La stratégie est aussi simple qu’ancienne: provoquer les forces de l’ordre dans l’espoir d’obtenir la sympathie de la population et déstabiliser le gouvernement »[2]. Ce n’est pas tout! Pendant que fait rage un débat sémantique sur la condamnation de la violence et que les médias s’affairent à associer la casse au jeune porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, Pratte, lui, érige Jean Charest en victime (sur son compte Twitter) : « On accuse Charest de minimiser la violence dans les rues. Quoi que fasse Charest, il sera toujours cloué au pilori ».
L’histoire d’amour entre André Pratte et le PLQ ne date pas d’hier. Elle est déconcertante en ceci qu’elle implique un homme qui, par ses propos, influence toute l’orientation d’un important journal. Sa couverture de la grève étudiante aura au moins permis de réaffirmer la partisanerie de l’éditorialiste en question. S’il est moins vulgaire que Stéphane Gendron et moins girouette que Richard Martineau, André Pratte aura lui aussi, au cours des derniers mois, scellé son appartenance au clan des démagogues. À l’issue de la grève étudiante, sans doute aura-t-il également polarisé définitivement son lectorat.
[1] André Pratte, «Une grève inutile», La Presse, 18 février 2012.
[2] André Pratte, «Des chiffres trompeurs», La Presse, 25 février 2012.
[3] André Pratte, «Une minuscule minorité», La Presse, 9 mars 2012.
[4] André Pratte, «Les complices», La Presse, 17 avril 2012.
[5] André Pratte, «Une “crise” artificielle», La Presse, 13 avril 2012.
[6] André Pratte, «La “démocratie” étudiante», La Presse, 3 mai 2012.