Hier après-midi, à l’émission Attendez qu’on se souvienne animée par René Homier-Roy à la radio de Radio-Canada, il était question du classique Les Invasions barbares du cinéaste Denys Arcand. Se reconnaissant dans une célèbre scène du film en question, Nathalie Petrowski s’exclamait :
Le féminisme, l’activisme, le machin, tout ça, on a tous été là-dedans pis après on s’est tous trouvés un p’tit peu épais (écouter ici).
Ce « on », c’était celui de sa génération; celle dépeinte par Denys Arcand, et non celui de la communauté journalistique. Cela dit, allergique au paternalisme dont font preuve certains chroniqueurs, je n’ai pu m’empêcher de mettre ses propos en relation avec ceux du sondeur et chroniqueur au Journal de Montréal Jean-Marc Léger, qui écrivait récemment dans un texte traitant du conflit étudiant : « C’est vrai qu’ils sont un peu trop à gauche, mais il faut que jeunesse se passe. Si tu n’es pas à gauche à 20 ans, c’est que tu n’as pas de cœur, mais si tu es encore à gauche à 40 ans, c’est que tu n’as pas de tête » [1].
C’est là une vision assez répandue – à laquelle je m’oppose farouchement – qui tend à associer la contestation, le militantisme et la remise en question du « système » au lyrisme (voire à l’imbécilité) de la jeunesse. Et qui associe, du coup, l’ordre établi au gros bon sens.
Quelques exemples
Les médias ont formidablement révélé ce paternalisme durant les derniers mois. Il suffit de consulter quelques illustrations de Ygreck (Yannick Lemay), caricaturiste au Journal de Québec, pour constater à quel point on a pensé le conflit étudiant en ces termes (ici, ici, ici et ici).
Il n’y a qu’à se rappeler le discours de Jacques Villeneuve, véritable analyse psycho-pop appliquée à la politique : « Je pense que ces gens ont grandi sans jamais entendre leurs parents leur dire ”non”. C’est ce qu’on voit dans les rues en ce moment ». Bien que M. Villeneuve ne soit évidemment pas journaliste (!), ses propos illustrent bien cette figure parasitaire du paternalisme, qui s’est enracinée dans le vocabulaire populaire de la grève à coups d’« enfants-rois », de « bébés gâtés », de gouvernement qui doit « mettre ses culottes », de premier ministre qui se doit d’être un « bon père de famille », de « récréation maintenant terminée », de « la discussion a déjà eu lieu », etc.
Que des chroniqueurs se laissent aller au paternalisme est une chose. Mais que cette attitude teinte aussi le travail de journalistes et d’animateurs soumis à l’impératif d’impartialité est plus dérangeant. Certaines de ces manifestations de paternalisme sont passées plutôt inaperçues. Dans celles-là, je range toutes les fois où les journalistes ont interpellé les principaux représentants étudiants par leur prénom (Gabriel, Martine et Léo), alors qu’ils ne se seraient pas permis de faire de même pour les chefs des partis politiques.
D’autres exemples ont été plus frappants. Je pense notamment à Simon Durivage qui a raccroché la ligne au nez de M. Nadeau-Dubois (qu’il a par ailleurs déjà surnommé en ondes « le p’tit Gabriel ») en direct à RDI, parce que le jeune homme refusait – à titre de porte-parole – de dire qu’il acceptait une trêve de manifestations exigée par la ministre de l’Éducation. À cet effet, Patrick Lagacé avait bien raison d’écrire que Durivage avait eu « l’indignation à géométrie variable » [2].
On a dit maintes fois que le gouvernement ne pouvait pas céder à la rue, au risque que la rue ne prenne goût à gouverner (comme on dit qu’il ne faut pas céder aux caprices d’un enfant, de peur de ce qu’il deviendra plus tard). C’était là le discours alarmiste de Denise Bombardier dans une chronique au Devoir justement intitulée « La victoire de la rue » :
La rue a gagné sur l’État de droit. Les lois votées à l’Assemblée nationale et celles imposées par les tribunaux pourront désormais être invalidées dans les faits par des groupes divers qui ont fait leurs classes ce printemps en bloquant Montréal la rouge, en noyautant les réseaux sociaux, en intimidant leurs adversaires et en usant de violence [3].
Se laissant aller à la métaphore, on a parfois oublié que le gouvernement et la population ne sont pas régis par le même rapport filial qui lie un enfant à ses parents. On change de gouvernement, on modifie des lois, on conteste, et parfois la rue a raison.
Qu’un parti politique emploie le paternalisme comme stratégie électorale, il ne faut pas s’en étonner. Mais que nos médias aient eux aussi, dans plusieurs cas, si bien intégré ce paternalisme, est bien regrettable.
[1] Jean-Marc Léger, « Regénération », Journal de Montréal, 16 avril 2012.
[2] Patrick Lagacé, « Note de service pour Simon Durivage », La Presse, 23 avril 2012
[3] Denise Bombardier, « La victoire de la rue », Le Devoir, 26 mai 2012.